Agence Française de Développement
Direction de la Stratégie
Département de la Recherche
5 rue Roland Barthes
75012 Paris - France
www.afd.fr
La filière riz au Mali : compétitivité et
perspectives de marché
Pierre Baris (baris.p@noos.fr)
Jean Zaslavsky (jean.zaslavsky@wanadoo.fr)
Serge Perrin (perrins@afd.fr)
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document
de travail
Table des matières
© AFD Document de travail La filière riz au Mali : compétitivité et perspectives de marché • septembre 2005/5 2
1. Le marché mondial du riz et la situation de l’Afrique de l’Ouest 12
1.1 Les caractéristiques du marché mondial du riz 12
1.2 La situation de l’Afrique de l’Ouest 17
2. La filière Riz au Mali : nouvelles perspectives 19
2.1 La filière riz joue un rôle central dans la sécurité alimentaire du pays 19
2.2 La riziculture malienne fait face à un nouveau contexte 20
2.3 L’écart croissant de la demande en riz 25
3. La compétitivité du riz de l’Office du Niger 27
3.1 Une forte rentabilité financière pour la majorité des producteurs 27
3.2 Les faibles marges à la transformation 27
3.3 Un système de commercialisation efficace 29
3.4 La compétitivité du riz de l’ON face au riz importé 32
3.5 La compétitivité du riz de l’ON vers la sous-région 33
3.6 L’intérêt que représente le développement de la riziculture malienne 34
4. Une nouvelle stratégie pour le riz malien 36
5. Implications en termes de politiques publiques 39
5.1 Des enjeux en termes de rentabilité économique, mais aussi de réduction
de la pauvreté et de sécurité alimentaire 39
5.2 Les bases d’un nouveau programme d’aménagement 40
6. Annexes 43
6.1 Les rizicultures maliennes 43
6.2 Tableaux et graphiques 46
6.3 Le modèle SIMURIZ 57
6.4 Notes 59
7. Références Bibliographiques 62
© AFD Document de travail La filière riz au Mali : compétitivité et perspectives de marché • septembre 2005/5 3
Cette étude a deux grands objectifs :
- faire l’analyse économique de la filière Riz au Mali, en la
resituant dans le contexte du marché mondial et de la sous-
région ;
- tirer les recommandations qui en découlent en termes de
politique publique et pour les interventions de l’AFD.
Le travail s’est déroulé durant trois semaines, avec une mis-
sion au Mali en octobre 2004. C’est un temps d’étude et de
terrain très court pour prendre en compte tous les problèmes
de la filière Riz au Mali, car elle se compose de plusieurs sys-
tèmes ou sous-filières de production1, avec chacun leurs
opportunités et leur problématique propres.
On s’est donc centré sur le riz produit sur la zone de l’Office
du Niger (ON), qui représente aujourd’hui près de la moitié
de la production du pays, avec toutes les questions que peut
poser, à terme, son développement en termes de demande
et de compétitivité, notamment par rapport au riz importé.
Les problèmes que soulève un accroissement rapide de l’of-
fre en riz local ont donc (pour le moment) été laissés de côté.
Cette étude a été réalisée par Pierre Baris et Jean Zaslavsky,
consultants, avec l’appui de Serge Perrin du Département de
la Recherche de l’AFD qui a participé à la mission sur le ter-
rain, tout en se concentrant sur l’état actuel et les perspec-
tives du marché mondial du riz. Ce travail a bénéficié de
nombreux échanges. Nous remercions tout particulièrement
Georges d’Andlau, Jean-François Bélières, Marjolaine Cour,
Jean-Marc Gravellini, Jean-Yves Grosclaude, Lucien
Humbert, Naomi Noël et Vatché Papazian pour leurs com-
mentaires, ainsi que les acteurs et spécialistes de la filière
Riz au Mali qui ont bien voulu nous consacrer un peu de leur
temps. Le travail de relecture a été assuré par Françoise
Tiffoin, et la mise en page du document a été réalisé par
Florence Avigni.
Les analyses et conclusions formulées dans ce document
sont de la responsabilité de ses auteurs et ne reflètent pas
nécessairement le point de vue officiel de l’AFD.
On trouvera, ci-après, un résumé de l’étude et de ses recom-
mandations.
© AFD Document de travail La filière riz au Mali : compétitivité et perspectives de marché • septembre 2005/5 4
Avant-propos
La filière rizicole au Mali fait face à un nouveau contexte qui
nécessite de repenser rapidement la politique du secteur.
Ainsi, la montée en puissance des importations de riz, qui
tournent autour de 200 000 tonnes depuis 2002 contre une
moyenne de 50 000 tonnes dans les années 1990, a peut-
être des raisons conjoncturelles. Mais elle traduit surtout un
décrochage de l’offre nationale de riz face à l’augmentation
très rapide de la demande. En effet, cette dernière s’est
accrue au rythme record de 7,5 % par an en moyenne
depuis 1995, sous le double coup de la croissance urbaine
et de l’augmentation des consommations par tête, princi-
palement en milieu urbain.
Comme il est peu probable que la demande continue de
progresser à ce rythme sur le long terme, nous avons util-
isé le modèle SIMURIZ2 pour estimer la croissance de la
demande qui serait, selon ce modèle, de l’ordre de 3,5 %
par an, ce qui est probablement un minimum. Selon cette
hypothèse basse, il faudrait en 2015 produire 275 000
tonnes de riz supplémentaires pour satisfaire la demande,
ce qui est plus que la production actuelle de l’ON. Le prob-
lème majeur n’est donc pas de trouver des débouchés ou
d’hypothétiques marchés à l’export, mais de développer
l’offre nationale qui risque, si rien n’est fait, d’être impuis-
sante à satisfaire la demande et de laisser la place à des
importations massives.
Ainsi, le Mali risque très rapidement de se retrouver dans la
situation de dépendance alimentaire, qui caractérise aujour-
d’hui la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest. L’exportation
du riz malien (thème récurrent depuis la période coloniale)
n’est plus une priorité ni une justification nécessaire pour
étendre les surfaces en riz. Ceci ne veut pas dire qu’il ne
faille pas exporter. Car le Mali peut conquérir certains
marchés voisins avec des riz de qualité. Mais, face au déficit
croissant de l’offre sur le marché national, un objectif d’expor-
tation massive n’est plus d’actualité.
Dans ce nouveau contexte, on propose une stratégie visant
dans le temps trois objectifs classés par ordre de priorité
(suivant leur opportunité et le coût pour les atteindre) :
- Tout d’abord satisfaire l’accroissement de la demande
nationale. Sous des hypothèses minimum, il y a déjà beau-
coup de chemin à faire : 275 000 T de riz supplémentaires
en 2015, 430 000 T en 2020 et 640 000 T en 2025 ;
- ensuite, reconquérir les parts du marché malien tenues
par le riz importé, soit de 100 000 à 150 000 tonnes ;
- enfin, exporter dans la sous-région, ce qui est plus
ambitieux. Si le potentiel existe avec la constitution du
marché régional et les importations massives des pays
voisins, la compétitivité du riz malien reste dépendante
surtout de facteurs exogènes (prix internationaux, coût du
fret, tarif extérieur commun (TEC) de l’UEMOA/CEDEAO,
cours du dollar ….
Combien d’hectares nouveaux doit-on aménager à l’ON ?
Sans tenir compte des contraintes de production3, on
estime que d’ici 2015, il faudrait aménager près de 110 000
hectares supplémentaires, dont une moitié pour satisfaire la
demande et l’autre pour reconquérir le marché des impor-
tations. En 2025, il faudrait mettre en valeur 185 000 ha de
plus pour atteindre les mêmes objectifs.
L’effort est immense quand on sait qu’actuellement l’ON ne
couvre que 75 000 ha et que le rythme d’extension de ces
dernières années n’a pas dépassé les 5 000 ha par an. De
plus, tout porte à croire que le système de production de
l’Office atteint aujourd’hui ses limites : les rendements pla-
fonnent ou diminuent ; la surface moyenne par exploitant,
qui était de 7 ha en 1980, serait maintenant à moins de 3
ha. De façon générale, l’intensification qu’a connu l’ON
depuis dix ans (et sur laquelle a reposé l’essentiel de l’ac-
croissement de la production) est, avant tout, liée à des
améliorations techniques (repiquage, semences,
accroissement des doses d’engrais), qui ont déjà fait leurs
effets. Les gains de productivité seront donc désormais
plus difficiles. Car ils dépendront d’une amélioration des
conditions de la production dans son ensemble, qui deman-
dera des efforts continus sur le long cours4 . Un programme
vigoureux d’extension est la seule voie possible pour déblo-
quer la situation et tenter de satisfaire une demande (en riz
et en terre), en pleine croissance.
Ce programme ambitieux ne peut être réalisé que si le riz
malien est compétitif, d’abord sur son propre marché, puis
sur celui des pays voisins. Pour les analyses les plus pes-
simistes, le riz de l’Office serait compétitif sur le marché
© AFD Document de travail La filière riz au Mali : compétitivité et perspectives de marché • septembre 2005/5 5
Résumé / Conclusions
national, sauf sur Kayes et Sikasso. Par contre, la compéti-
tivité ne serait pas assurée sur les marchés des pays
voisins dans les conditions actuelles. Toutefois, une
remontée du dollar permettrait de conquérir les marchés
les plus éloignés des ports et un arrêt des subventions sur
le marché mondial (plus hypothétique) permettrait au riz de
l’ON de s’imposer sur tous les marchés de l’UEMOA5 .
Au-delà de ces analyses économiques assez complexes
et souvent limitées par le manque de données fiables, on
notera que la filière riz de l’Office dispose d’une série
d’atouts, qui ne peuvent que favoriser son développement,
en particulier :
- un disponible en terre important, avec la possibilité d’une
irrigation par gravitation (ce qui réduit fortement les coûts
de production) ;
- une bonne rentabilité financière pour la majorité des pro-
ducteurs, qui ont su depuis quinze ans accroître sensible-
ment leur productivité, s’adapter au marché comme aux
contraintes de production et augmenter leurs revenus en
se positionnant sur l’aval de la filière (décorticage et com-
mercialisation) ;
- des coûts de transformation réduits (avec une qualité
elle-même assez réduite en termes de brisures, triage,
propreté) ;
- un système efficace de commercialisation (avec une
diminution des marges sur le long terme et un effet amor-
tisseur des prix à la consommation).
Enfin, et ceci est essentiel dans une stratégie de lutte con-
tre la pauvreté et de meilleure répartition des revenus, la fil-
ière riz ON crée près de 50 milliards de FCFA de revenus,
dont les deux tiers reviennent au milieu rural et 3 milliards
de recettes pour l’Etat. Limiter les aménagements sur la
zone ON, c’est courir le risque d’importations massives,
avec certes de nouvelles recettes pour l’Etat, mais par
contre une stagnation des revenus ruraux et un coût en
devises important (sans compter les risques liés à l’évolu-
tion des cours du riz sur le marché international).
De façon générale, on soulignera que l’Office est l’un des
rares lieux où l’on puisse mener de front des politiques dif-
férenciées de lutte contre la pauvreté et de croissance
économique par une répartition mieux raisonnée des nou-
velles terres. L’Etat se doit donc d’arbitrer entre les dif-
férents usages possibles des terres et de l’eau disponibles
sur la zone6 , en s’attachant à définir des stratégies de
mise en valeur en cohérence avec ses choix - notamment
la nécessité de combiner lutte contre la pauvreté et
développement économique .
Que faire ?
Comme souvent, apparaît la nécessité d’une intervention à
plusieurs niveaux de la filière, avec des actions au long
cours et des priorités à plus court terme.
Pour le long terme, il conviendrait de :
- définir et de réaliser un programme ambitieux d’amé-
nagement sur la zone de l’ON, en tenant compte des dif-
férentes contraintes liées à la production et à l’environ-
nement. La stratégie de mise en valeur et de financement
de ce programme devrait être en cohérence avec les trois
objectifs liés que constituent la sécurité alimentaire, la lutte
contre la pauvreté et la croissance économique ;
- réduire les coûts aux différents maillons de la filière, tout
en adaptant la qualité des produits finis à la demande, afin
de préserver et (si possible) accroître la compétitivité du riz
malien ;
- défendre les intérêts de la riziculture malienne dans les
négociations commerciales internationales (OMC,
APE/UE, UEMOA/CEDEAO).
Sur le court terme, il faudrait en priorité :
- maîtriser les importations et leurs prix par un dispositif de
pilotage raisonné, avec un système adapté d’information ;
- améliorer toutes les données sur les systèmes de pro-
duction (notamment le suivi/évaluation de l’ON, dont la fia-
bilité doit être renforcée) ;
- mieux définir les positions et des alliances pour les négo-
ciations sur le TEC au sein de la CEDEAO (tarifs) et sur les
conditions d’application de la politique agricole de
l’UEMOA (fiscalité de porte7 et TVA, politique rizicole au
niveau régional, actions de type transversal : recherche,
formation des producteurs, appui aux OP riz …).
Tout ceci suppose des dispositifs d’aide à la décision plus
vigoureux.
Résumé/conclusions
© AFD Document de travail La filière riz au Mali : compétitivité et perspectives de marché • septembre 2005/5 6
A new scenario has developed in Mali's rice sector, calling
for a swift re-evaluation of sector policy. The sharp increase
in rice imports, standing roughly at 200,000 tonnes since
2002, compared to an average 50,000 tonnes in the 1990s,
may be due to the economic situation. It does, however,
reflect the failure of domestic rice supply to meet spiralling
demand. Indeed demand for rice has grown, on average, a
record 7.5 per cent per year since 1995, spurred by two fac-
tors, urban growth and higher consumption per capita, pri-
marily in the cities.
Since it is unlikely that demand for rice will continue rising
at this rate in the long term, we have used the SIMURIZ8
model to estimate its growth, which should be about 3.5 per
cent yearly, probably a minimum. Based on this low esti-
mate, an extra 275,000 tonnes of rice will need to be pro-
duced in 2015 to meet demand, which is greater than the
Office du Niger's (ON) current output. The main problem is
therefore not to find new markets or hypothetical markets
for export, but to expand domestic supply that--if no action
is taken--may not be able to cope with the demand, open-
ing the door to massive imports.
Thus Mali may very soon find itself in a situation of food
dependency, which is currently the norm in most West
African countries. Malian rice exports (a recurring issue
since the colonial era) will no longer be a priority or a nec-
essary justification for extending rice-growing areas. This
does not mean that exports should be halted, because Mali
can capture markets in neighbouring countries by offering
high-quality rice. Faced with an increasingly inadequate
supply for the domestic market, however, massive exports
are not an option.
The following strategy, devised to respond to new condi-
tions, includes three objectives listed in order of importance
(depending on the opportunity cost of meeting them):
- First, meet increased domestic demand. According to the
lowest estimates, there is much to be done: it will be neces-
sary to produce an additional 275,000 tonnes of rice in
2015, 430,000 tonnes in 2020 and 640,000 tonnes in 2025;
- second, win back the Malian market share held by import-
ed rice, i.e. 100,000 to 150,000 tonnes; and
- third, export rice to the sub-region, a more ambitious
proposition. While there is a potential for such exports in the
regional market and in the market for massive imports from
neighbouring countries, the competitiveness of Malian rice
continues to depend on exogenous factors such as interna-
tional prices, shipping costs, the U.S. dollar exchange rate
and the common external tariff (CTE) of the West African
Economic and Monetary Union (WAEMU) and the
Economic Community of West African States (ECOWAS).
How many new hectares should be developed at the ON?
Without considering production constraints9, it is estimated
that by 2015, some 110,000 additional hectares must be
developed, half of which will be used to meet demand and
the other half, to win back the import market. In 2025,
another 185,000 hectares will need to be developed to
reach the same objectives.
A huge effort will be required, for the ON only holds 75,000
hectares of land and in recent years extensions have not
exceeded 5,000 hectares annually. There is every reason to
believe that the ON's production system has reached its
limits. Yields are levelling out or on the wane; the average
plot per farmer, 7 hectares in 1980, has reportedly dropped
to under 3 hectares. Overall, the ON's expansion over the
past ten years (on which the bulk of increased output has
been based) is primarily linked to technical improvements
(transplanting, seeds, higher doses of fertilizer), the effects
of which have already been felt. Henceforth it will be more
difficult to achieve gains in productivity because they will
depend on improved conditions of production across the
board, which will require sustained efforts in the long term10 .
A dynamic land extension programme is the only way to
turn the situation around and attempt to meet a steadily
mounting demand for rice and land.
This bold programme can be successful only if Malian rice
becomes competitive, first in its own market and then in
those of its neighbours. According to the most conservative
estimates, the ON's rice will be competitive in most of the
domestic markets, except in the Kayes and Sikasso
regions. In contrast, however, competitiveness would not
be guaranteed in the markets of neighbouring countries
under present conditions. Nevertheless, a recovery of the
© AFD Document de travail La filière riz au Mali : compétitivité et perspectives de marché • septembre 2005/5 7
Summary
U.S. dollar would make it possible to seize the markets fur-
thest from the ports, and the elimination of subsidies on the
world market (this is more hypothetical) would enable ON
rice production to break into WAEMU markets 11.
Apart from these rather complex economic forecasts that
are often limited by the lack of reliable data, the ON's rice-
growing sector has several assets which can only benefit its
development, namely:
- Large areas of available land suitable for gravity irrigation,
which would cut production costs sharply;
- A profitable business for most rice growers who have sub-
stantially increased their output over the past 15 years,
adjusted to changes in market conditions and production
constraints and increased their income by positioning them-
selves upstream of the sector (husking and marketing);
- Lower processing costs (with a substantially lower quality
in terms of broken rice, sorting and cleanliness); and
- An efficient marketing system (with lower margins in the
long term and a buffer effect on consumer prices).
Lastly--and this is an essential part of a strategy aiming to
tackle poverty and achieve better income distribution-